Si vous avez lu les journaux cette semaine, vous pourriez croire que les régimes de pension ont fait l’objet d’une transformation soudaine et radicale au Canada, et il faudrait vous pardonner votre erreur de perception. Il appert que tout le monde écrit sur la crise qui frappe les régimes de pension : régimes qui disparaissent, faillites, perte de droits à pension, retraités qui craignent de ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins essentiels.
Malheureusement, beaucoup de ce qui est écrit sème la confusion et la perplexité. Je vais donc tenter de tirer la question au clair et de proposer des éléments de réponse.
En règle générale, nous sommes confrontés à deux grands problèmes, différents l’un de l’autre, mais connexes. D’abord, nous devons trouver un moyen d’assurer un revenu de retraite adéquat à l’ensemble des aînés au Canada. Ensuite, nous devons assurer la solvabilité présente et future des régimes de pension privés.
1. Je vais commencer par aborder le problème plus étendu d’un revenu de retraite pour tous. On a fait un gros plat du déclin lent mais constant de la protection en matière de pensions, surtout dans le secteur privé, au cours des dernières décennies. Jadis, 45 % de tous les salariés bénéficiaient d’une telle protection; aujourd’hui, ce pourcentage s’établit à 38 %. C’est certainement important, puisque ça indique que de moins en moins de futurs retraités pourront compter sur une pension privée adéquate à la retraite.
Cependant, puisqu’il s’agit d’une tendance de longue date et que les régimes de pension privés n’ont jamais – à aucun moment de l’histoire – bénéficié à même la moitié de la main-d’œuvre canadienne, il ne s’agit pas vraiment d’une nouvelle de dernière heure. Au Canada, une majorité de personnes âgées dépendent des régimes de pension publics – le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti – pour leur revenu de retraite. Cela ne changera pas, même si nous réussissons à renverser le déclin de la protection offerte par les régimes privés, voire à l’augmenter à des niveaux près de son sommet historique.
Le régime public – depuis qu’il existe dans sa forme actuelle, c’est-à-dire depuis les années 1960 – est assez efficace pour maintenir la plupart des aînés au-dessus du seuil de la pauvreté. La solution au problème général de garantir à l’ensemble des Canadiens un revenu de retraite adéquat est clairement une bonification des prestations publiques : augmenter les prestations de Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti pour sortir toutes les personnes âgées de la pauvreté et rehausser les prestations du RPC et du RRQ pour mettre plus de revenu de remplacement dans les poches des travailleurs qui prennent leur retraite.
Les pensions publiques sont efficaces, universelles et pratiquement à l’abri des risques.
D’autres propositions ont été mises de l’avant concernant la gestion de fonds de placement à participation volontaire ou obligatoire. Ces « solutions » soulèvent de nombreux problèmes. La plupart du temps, ces fonds n’assurent aucune protection universelle et imposent le fardeau d’assumer tous les risques aux particuliers canadiens. Aussi, ils sont beaucoup moins efficaces et beaucoup plus coûteux à gérer que si les régimes publics étaient améliorés. On les vante principalement parce qu’ils permettraient probablement à notre industrie des fonds de placement, des fonds communs de placement et des REER déjà gonflée à bloc de s’enrichir davantage dans une orgie de frais.
2. La deuxième grande question en cause concerne l’état des régimes privés et le sort qui leur est réservé. Comme mentionné, la protection qu’offrent ces régimes baisse d’année en année. Bien qu’ils ne protègent qu’une minorité de la main-d’œuvre, ces régimes demeurent très importants pour les personnes qui y cotisent, les retraités et leurs proches – qui ont accepté de se priver d’une partie de leur salaire au cours de leur vie professionnelle pour profiter d’une retraite plus confortable. Ils méritent donc d’être protégés.
Au cours de la dernière décennie, les régimes de retraite à prestations déterminées ont été durement frappés par les hauts et les bas des marchés boursiers, et les faibles taux d’intérêt ont créé de lourds passifs de solvabilité pour nombre de régimes. Certains de ces déficits peuvent aussi être attribués à la facilité avec laquelle des employeurs ont pu utiliser leurs surplus enregistrés au cours des années fastes des décennies 1980 et 1990 pour suspendre leurs cotisations.
Certains participants sont particulièrement malmenés lorsque leur employeur déclare faillite et qu’ils découvrent que leur régime de retraite était sous-capitalisé. Puisque l’Ontario est la seule province ayant un fonds (limité) de garantie des prestations de retraite et que les charges à payer au titre des pensions figurent au bas de la liste des priorités d’une procédure de faillite, nombre de participants et de retraités doivent alors encaisser de lourdes pertes de leurs prestations acquises.
L’effondrement des marchés boursiers a aussi frappé durement les régimes à cotisations déterminées et les REER, et ce sont les travailleurs le plus près de l’âge de la retraite qui en ont souffert le plus.
Au cours de la dernière décennie, on a beaucoup discuté de la possibilité de modifier les règles de capitalisation des régimes à prestations déterminées [Voir mon article intitulé Pensions : Un récit de deux commissions (et demie)]. Plusieurs employeurs réclament un assouplissement des règles de capitalisation pour rendre les régimes « plus attrayants » (à leurs yeux), mais nous devons plutôt modifier les règles afin de bonifier – plutôt que miner – la protection de ces régimes. Cela passe notamment par un resserrement de l’obligation pour les employeurs de combler les déficits de capitalisation, des restrictions sur les périodes d’exonération de cotisations, un régime national d’assurance-retraite et une plus grande priorité accordée aux régimes de pension dans les procédures de faillite.
Les gouvernements se montrent très réticents à aller de l’avant lorsqu’il est question de réglementer en matière de pensions. Jusqu’à maintenant, nous n’avons eu droit qu’à de timides mesures temporaires d’allègement de la capitalisation visant à venir en aide aux employeurs éprouvant des difficultés financières.
Il sera donc important que les gouvernements édictent de nouvelles lois en matière de pensions qui auront pour effet d’accroître la sécurité des pensionnés.
3. Le mot de la fin
Malgré le potentiel d’étendre la protection des régimes privés par l’entremise de régimes de retraite interentreprises, cela ne règle pas le problème d’une majorité de Canadiens. La clé pour garantir un revenu de retraite décent à l’ensemble des Canadiens est de bonifier les prestations de pension de l’État.
Il s’agit d’un thème clé de la campagne de lobbying que mène le Congrès du travail du Canada cet automne. La question des pensions mobilise les politiques gouvernementales d’un bout à l’autre du pays. Les gouvernements fédéral et provinciaux se réunissent à Whitehorse en décembre pour discuter de pensions, et un « sommet national sur les pensions » pourrait se tenir l’année prochaine. Que nous soyons ou non face à une « crise des pensions », il est d’une importance capitale que nous posions les bonnes questions et obtenions les bonnes réponses à ces questions pour le mieux-être futur des aînés du Canada.