Turbulences à l’horizon : les réelles conséquences de la déréglementation du ciel canadien

Turbulences à l'horizon : les réelles conséquences de la déréglementation du ciel canadien

Par l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (IAM le Syndicat)


Le 19 juin 2025, le Bureau de la concurrence du Canada a publié son rapport final sur la concurrence dans le transport aérien : « Prêt pour le décollage : renforcer la concurrence dans le transport aérien ». Ses principales recommandations ? Que le Canada envisage d’autoriser les compagnies aériennes étrangères à exploiter des liaisons intérieures et réévalue les limites actuelles en matière de propriété. En proposant de supprimer les restrictions en matière de cabotage et les limites de propriété étrangère, les suggestions du Bureau menacent de démanteler l’infrastructure même qui soutient le secteur aérien canadien, avec des conséquences dévastatrices pour les travailleurs, les travailleuses, les communautés et la souveraineté nationale.

En tant que syndicat représentant plus de 16 000 travailleurs et travailleuses aéroportuaires à travers le pays, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (IAM le Syndicat) considère ces propositions non pas comme une avancée politique, mais comme une menace directe pour les emplois canadiens, une érosion de notre infrastructure aéronautique nationale et un précédent dangereux pour les politiques publiques motivées par des considérations économiques à court terme plutôt que par l’intérêt public canadien à long terme. 

Les États-Unis interdisent strictement aux transporteurs étrangers d’exploiter des liaisons intérieures, et d’autres régions, comme l’Union européenne, n’autorisent cet accès qu’entre les États membres. L’ouverture unilatérale de notre espace aérien offrirait aux transporteurs étrangers des privilèges qu’ils ne nous accordent pas en retour.

Si nous reconnaissons que le secteur aérien a besoin d’une réforme, la déréglementation de l’accès à notre marché intérieur n’est pas une réforme. C’est un recul.

Il n’y a pas de conditions équitables, seulement des conditions défavorables

Le secteur aérien canadien est soumis à des contraintes complexes : une géographie vaste, des liaisons régionales essentielles sur le plan économique et logistique, mais non rentables, et un environnement réglementaire déjà mis à rude épreuve par les redevances et les lacunes en matière d’infrastructures. La proposition du Bureau d’autoriser les transporteurs étrangers à exploiter des liaisons intérieures – également appelées cabotage – suppose que tous les concurrents sont soumis aux mêmes contraintes. 

Ce n’est pas le cas.

Aucun grand pays, y compris les États-Unis, n’offre au Canada le même accès. Les compagnies aériennes étrangères seraient invitées à choisir les liaisons les plus rentables sans contribuer au reste du réseau. Ce n’est pas de la concurrence. C’est du « cherry picking », qui porte préjudice aux transporteurs et aux travailleurs et travailleuses qui assurent le fonctionnement de l’ensemble du système.

Les travailleurs et travailleuses en paieront le prix.

Pour des milliers de Canadiens, les emplois dans les aéroports sont souvent syndiqués, offrent des salaires décents, des avantages sociaux et une sécurité d’emploi, ainsi qu’une permanence de plus en plus rare sur le marché du travail en général. Nos membres sont le pilier de l’économie aéronautique. Les exploitants étrangers qui n’ont aucun engagement envers le Canada ne feront qu’apporter des salaires plus bas, moins d’avantages sociaux et une main-d’œuvre plus précaire et sous-traitée.

Ce n’est pas de la spéculation, c’est l’histoire. Nous avons vu cette situation détériorer d’innombrables compagnies aériennes canadiennes, de Canada 3000 à Jetsgo en passant par Canadian Airlines International, et rien n’indique que cette fois-ci sera différente.

Ce qui rend ces recommandations particulièrement préoccupantes, c’est l’absence de consultation des syndicats tout au long de l’étude du Bureau. Un seul syndicat a été interrogé au cours d’un processus qui a duré 13 mois, alors que le secteur aérien emploie des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses syndiqués. Bien que l’IAM ait fourni un mémoire détaillé au Bureau, nous n’avons jamais été interrogés. Sans la contribution des travailleurs et travailleuses de première ligne, ces recommandations politiques manquent de la perspective nécessaire pour comprendre leur impact global. 

Les infrastructures nationales ne peuvent pas être délocalisées

Nos compagnies aériennes opèrent dans l’une des régions les plus difficiles au monde. Elles desservent des petites villes, des communautés isolées et des territoires autochtones où le transport aérien n’est pas un luxe, mais une nécessité. Les transporteurs étrangers, qui n’ont pas investi à long terme dans nos infrastructures ou notre main-d’œuvre, s’empareront des corridors urbains rentables – Toronto-Vancouver, Montréal-Calgary – laissant aux transporteurs canadiens le fardeau financier des liaisons essentielles, mais non rentables.

Une fois affaiblis, les transporteurs canadiens s’effondreront, entraînant avec eux des milliers d’emplois.

Si Ottawa ouvre la porte à des opérateurs étrangers sans obligations à long terme, que se passera-t-il lorsque ces acteurs quitteront le marché en cas de ralentissement économique ? Qui garantira la continuité du service vers le Nord ? Qui restera responsable devant le Parlement ?

La réponse ne peut être : « celui qui restera ».

Si l’objectif est d’améliorer le système, réparons ce qui ne fonctionne pas

Nous ne contestons pas le fait que le système aérien canadien présente des problèmes. Mais ceux-ci trouvent leur origine dans des questions qui ont tendance à être ignorées : les loyers et les redevances d’atterrissage des aéroports, les infrastructures surchargées, les systèmes de navigation obsolètes et le sous-investissement dans l’accès régional.

Pour résoudre ces problèmes, il faut une volonté politique et non pas privatiser le problème en espérant qu’il se résolve de lui-même.

Conclusion

Le Canada a la responsabilité de favoriser une concurrence qui serve le public canadien et non les entreprises étrangères. Cela signifie renforcer nos compagnies aériennes, protéger nos travailleurs et travailleuses et construire un système aérien fondé sur la résilience, et non sur la déréglementation. Il s’agit là de priorités nationales et non des possibilités commerciales mondiales à vendre au plus offrant.

L’IAM exhorte le gouvernement canadien à rejeter les recommandations du Bureau de la concurrence sur le cabotage et la propriété étrangère. Ces propositions peuvent promettre des tarifs moins élevés, mais elles se feront au détriment de la souveraineté, de la sécurité et de la stabilité économique.

Notre espace aérien n’est pas à vendre. Et les personnes qui le font fonctionner ne devraient pas en payer le prix.


Pour consulter le rapport complet du Bureau de la concurrence, veuillez cliquer ici

Pour consulter la soumission de l’IAM au Bureau de la concurrence, veuillez cliquer ici.