Ivana Saula,
directrice de la recherche du Canada
Le statut familial en tant que motif de distinction illicite est relativement nouveau dans le domaine du droit des droits de la personne. Il est entendu qu’il s’agit d’obligations parentales ou familiales ce qui incluent les soins fournis à un enfant ou à une personne âgée. La définition du droit protégé est uniforme d’une juridiction à l’autre. Mais, le champ de compétence et l’application ne sont pas aussi bien définis. Les récentes modifications qui ont été apportées au Code canadien du travail et la dernière décision rendue par la Cour suprême du Canada n’ont pas permis de clarifier la question. La décision met plutôt en lumière la complexité de la preuve de la discrimination fondée sur le statut familial, non seulement en maintenant un contexte juridique ambigu, mais en laissant en même temps aux travailleurs un fardeau de la preuve rigoureux et prohibitif.
En Colombie-Britannique, l’affaire Campbell River constitue la barre à franchir pour déterminer s’il y a eu discrimination. Le travailleur doit démontrer ce qui suit :
- la modification d’une condition d’emploi imposée par l’employeur; et
- que le changement a entraîné une entrave grave à une importante obligation parentale ou familiale.
Ce critère, en particulier, a été critiqué par les juristes parce qu’il impose un fardeau de la preuve plus lourd pour ce motif protégé que pour les autres motifs protégés.
Pour compliquer les choses, la Cour d’appel fédérale a également élaboré son propre critère de discrimination fondée sur le statut familial, critère que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a par la suite remis en question. Essentiellement, le Tribunal s’est demandé pourquoi un critère juridique unique de discrimination s’avérait être nécessaire dans les affaires de statut familial.
Les décisions de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, de la Cour d’appel fédérale et du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario illustrent le contexte juridique complexe et les difficultés à démontrer la discrimination fondée sur le statut familial. L’affaire Suen a fait naître l’espoir qu’une décision rendue permettrait d’élucider un critère approprié pour les cas de discrimination fondée sur le statut familial.
L’employeur de M. Suen lui a demandé d’accepter une affectation au Manitoba, d’une période de huit à dix semaines, qu’il a refusée en déclarant qu’il devait rester en Colombie-Britannique pour aider sa conjointe à s’occuper de leur nouveau-né. Par conséquent, l’employeur a congédié M. Suen avec motif valable, ce qui l’a amené à déposer une plainte devant le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Ce dernier s’est demandé si le critère de Campbell River était approprié et il a suggéré que la portée de la protection en vertu du statut familial soit élargie pour inclure les responsabilités parentales. Le Tribunal a appliqué une optique progressiste et large au droit relatif aux droits de la personne.
Cette décision a été confirmée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Mais, elle a été renversée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. La décision de la Cour suprême du Canada était très attendue, car elle devait clarifier les ambiguïtés de la discrimination fondée sur le statut familial. Toutefois, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel de M. Suen, maintenant le champ d’application étroit et la barre de preuve élevée.
Bien que cette décision soit pertinente pour les employeurs et les travailleurs de la Colombie-Britannique, le fait que la Cour suprême du Canada ait maintenu la barre haute dans les affaires de statut familial aura certainement une incidence sur les affaires futures partout au pays.
Ce qui est certain, c’est qu’il n’existe pas de critère normalisé et que les employeurs ne sont pas tenus de permettre aux travailleurs d’aider leur partenaire à remplir leurs obligations familiales. La question de la discrimination fondée sur le statut familial continue d’évoluer et ces cas de discrimination doivent être examinés avec soin.