Tracer le changement : la voix des travailleurs dans un monde automatisé

Au cours des cent dernières années, nos sociétés ont été témoins de progrès technologiques jamais connus auparavant. Comme c’est le cas avec toutes les révolutions technologiques, les sociétés seront soumises à des changements profonds qui viennent avec des améliorations, des bouleversements et des coûts. Au fur et à mesure que le changement technologique s’étend et repousse les frontières, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles possibilités, et titille notre imagination collective, il nous laisse également dans un état d’incertitude quant à ce que nous réserve l’avenir. Le flux et reflux du changement a détruit des métiers, tout en créant de nouveaux et nous savons que la marée du changement ne peut être arrêtée; le mieux que nous puissions faire est de le comprendre et de s’y préparer.

Le mouvement ouvrier est aux prises avec le changement technologique depuis des centaines d’années et le parcours de ces changements est mitigé. Au cours de l’histoire, le changement technologique a en même temps fait disparaître des travaux d’artisanat, des métiers et compétences, des tâches routinières rendant certains emplois ennuyants, alors que dans d’autre cas, il a facilité le travail. Les Luddites se sont rebellés contre le changement technologique et la destruction de leur métier, marquant ainsi à jamais la relation difficile qu’allaient avoir les travailleurs et travailleuses avec la technologie.

Une étude récente a montré que 42 % de la main-d’œuvre canadienne est exposée à un risque élevé d’être touchée par l’automatisation grâce aux technologies qui existent, alors que dans certains secteurs, la probabilité est beaucoup plus élevée.[1] On estime que 11,5 millions de travailleuses et travailleurs canadiens âgés de plus de 50 ans risquent de perdre leur emploi en raison de l’automatisation.[2] Dans certains cas, les emplois seront entièrement perdus, tandis que d’autres feront l’objet d’une refonte. Les progrès technologiques récents soulèvent de graves préoccupations à propos de ce que réserve l’avenir pour les travailleurs et travailleuses et pour notre société. « Même les emplois que nous croyions complètement hors d’atteinte du champ d’action de l’automatisation, comme le camionnage par exemple, sont effectivement confrontés au risque d’être automatisés ».[3]

Les préoccupations concernant le changement technologique sont certainement justifiées; l’intelligence artificielle est en train de révolutionner le rythme et la nature de ce à quoi le changement technologique ressemble au 21e siècle. Bien que l’automatisation soit un élément faisant partie du milieu de travail depuis des décennies, cette ère de l’automatisation, imprégnée de l’intelligence artificielle, nous apporte des possibilités illimitées. Une différence indéniable existe entre les changements technologiques des trois dernières révolutions industrielles et le changement technologique rendu possible par l’intelligence artificielle.

Les promoteurs des nouvelles technologies nous assurent que de nouveaux emplois plus intéressants seront créés, alors que d’autres personnes, plus critiques à l’égard des nouvelles technologies, craignent qu’elles puissent éventuellement mener à d’énormes pertes d’emplois. Au Canada seulement, on estime que l’on perdra 1,6 million d’emplois dans des secteurs non sensibles à l’automatisation.[4] Dans les secteurs très sensibles, 2,5 millions d’emplois seront touchés.[5] La Banque mondiale prévoit qu’au cours des 20 prochaines années, 57 % des emplois seront touchés par l’automatisation et que les deux tiers de l’ensemble des emplois dans les pays en développement sont vulnérables à l’automatisation.[6] Ce qu’il y a de plus alarmant peut-être est que certaines recherches indiquent que contrairement aux ordinateurs et aux autres types de technologies utilisées jusqu’à maintenant, qui augmentaient la demande de main-d’œuvre, les robots industriels peuvent avoir des répercussions très différentes sur l’emploi et les salaires en général.[7] Certaines recherches indiquent qu’au cours des 30 dernières années, « les constatations pointent vers des effets de déplacement plus marqués et des effets de réintégration plus faibles », ce qui veut dire qu’en cette ère de changement technologique, les emplois disparaissent à un rythme plus élevé que la création de nouveaux emplois.[8]

Dans le même ordre d’idées, les périodes d’ajustement suivant une révolution industrielle ont pris passablement de temps. Tenez compte du fait que « les séquelles de la Révolution industrielle ont notamment été marquées par deux  révolutions communistes et que l’influence stabilisatrice de l’état de bien-être social moderne n’est apparu qu’après la Deuxième guerre mondiale, près de 200 ans depuis les débuts de la Révolution industrielle au 18e siècle ».[9] Le contexte dans lequel le changement technologique évolue est important puisque l’histoire a montré qu’il est stimulé par des conditions politiques et socioéconomiques particulières. Sans mesures proactives, les systèmes ont tendance à être en retard sur les changements de plusieurs décennies, tandis que le poids des changements est porté par ceux qui ont des ressources et des possibilités limitées.

Un autre élément préoccupant des évolutions technologiques actuelles est le manque de réglementation. À l’heure actuelle, les entreprises sont autorisées à s’autoréglementer et on comprend peu, sinon pas du tout, les répercussions sociales de cette technologie. Après tout, chaque changement technologique a été suivi de l’apparition correspondante de nouveaux systèmes sociaux et politiques.

Les syndicats ont toujours joué un rôle dans le façonnement du nouvel ordre social découlant des changements survenus sur les plans de l’économie et de la technologie. Cette ère de changement n’est pas différente, mais pour agir de façon proactive et participer au façonnement des nouveaux ordres sociaux et politiques, il est impératif de comprendre le genre de changement qui se dessine.

Ce projet est un petit pas dans cette direction. Pour comprendre le changement dans le contexte des lieux de travail dans lesquels les membres de l’AIMTA travaillent, le Territoire canadien s’est lancé dans une étude de l’automatisation. La réponse de nos organisations doit s’ancrer dans la réalité à laquelle nos membres sont confrontés et avoir un lien pertinent avec le travail accompli par nos membres. Le rapport est un résumé des conclusions issues de recherches réalisées dans l’ensemble du Canada dans plusieurs secteurs.

L’objectif du projet était d’évaluer le niveau d’automatisation dans les lieux de travail dans lesquels les membres de l’AIMTA travaillent et d’élaborer les réponses qui s’imposent, autant à la table de négociation que par voie législative. Les syndicats doivent s’efforcer de remédier aux répercussions sociales et de façonner des réponses adéquates qui servent l’intérêt public; à cet égard, les syndicats ont toujours joué un certain rôle et été les meilleurs défenseurs de l’intérêt public. Après tout, « les conséquences sociales de l’automatisation sont conditionnelles à la force de la main-d’œuvre syndiquée ».[10]

Au cours des révolutions industrielles précédentes, il a fallu plusieurs décennies pour que les marchés du travail s’ajustent et pour que les systèmes de formation et éducatifs soient conçus de façon à ce qu’ils correspondent aux nouvelles réalités. En ce moment, nous avons non seulement des précédents historiques dont nous pouvons tirer des leçons apprises, mais aussi des quantités abondantes de résultats de recherche à propos des répercussions du changement technologique. Nous exhortons les gouvernements à agir maintenant et à se préparer en vue de ce qui s’avère déjà une ère sans précédent.

[1] The Talented Mr.Robot. Brookfield Institute. Juin 2016. 1-50, p.2.
[2] Natalie Schwartz. « 3 Ways Colleges Can Prepare the workforce for automation », p.2.
[3] Ibidem, p.4.
[4] Automation Across the Nation. Brookfield Institute. Juin 2017. 1-32.
[5] Brookfield Institute.
[6] The Challenge of Industry 4.0 and the Demand for New Answers. IndustriALL. 2016. 1-34, p. 7.
[7] Acemoglu, Daron, Restrpo, Pascual. « Robots and Jobs: Evidence From US Labor Markets ». National Bureau of Economic Research. Cambridge, MA. Mars 2017. 1-62, p. 32.
[8] Acmoglu. Daron, Restrepo, Pascual. « Automation and New Tasks: How Technology Displaces and Reinstates Labor », p.6.
[9] http://theconversation.com/what-the-industrial-revolution-really-tells-us-about-the-future-of-automation-and-work-82051
[10] Parolin, Zachary. « Automation, Occupational Earnings Trends, and the Moderating Role of Organized Labor ». Social Forces. Oxford University Press. 2020. 1-26, p. 8.