Dès les premiers jours de l’aviation commerciale, il y a de cela quelque 75 ans, l’industrie mondiale était réglementée par des instances nationales et le transport aérien était géré comme un service public. Les gouvernements contrôlaient rigoureusement l’octroi de permis, par exemple dans des secteurs d’activités comme la sécurité et l’entretien, et imposaient des règles rigoureuses sur les routes, les tarifs et les types d’aéronefs exploités. Les gouvernements participaient aussi activement à la mise en place de l’infrastructure aéronautique (pensons aux aéroports, au contrôle de la circulation aérienne, etc.) et, bien souvent, détenaient une participation directe dans la propriété publique des transporteurs aériens.
Au cours des trois dernières décennies, dans le cadre de la poussée mondiale pour réduire le rôle des gouvernements et confier l’activité économique au contrôle exclusif des marchés et des entreprises, l’aviation a été de plus en plus déréglementée. Les États-Unis ont déréglementé leur marché intérieur en 1978, et de nombreux marchés intérieurs sont aujourd’hui ouverts partout dans le monde. (Le Canada a déréglementé son marché intérieur en 1984). La majorité des transporteurs propriété de l’État a été privatisée (dont Air Canada, en 1989), et une foulée d’accords « ciel ouvert » ont été signés au cours des dernières décennies pour déréglementer le trafic aérien entre les pays contractants.
Partout dans le monde, la réglementation se résume aujourd’hui à des contrôles réglementaires imposés sur le trafic international, à des exigences de propriété ou de contrôle intérieur des transporteurs et au maintien du protectionnisme de marchés intérieurs. Le « cabotage » – soit l’autorisation accordée à des transporteurs étrangers de transporter des passagers sur des routes intérieures – représente la dernière frontière de la déréglementation.
La déréglementation devait intensifier la concurrence et donc se traduire par une amélioration des services et une réduction des tarifs. Il est difficile de déterminer si la déréglementation s’est en effet traduite par une réduction des tarifs, puisque les tarifs aériens sont en baisse depuis l’arrivée de l’aviation commerciale, soit avant et après l’ère de la déréglementation, en conséquence des progrès technologiques (moteurs plus efficaces, cellules plus larges et plus légères, meilleurs calendriers, etc.).
On peut difficilement prétendre que la déréglementation ait permis d’améliorer la qualité des services fournis par les transporteurs aériens.
De toute évidence, la déréglementation n’a pas contribué à intensifier la concurrence, mais plutôt à une plus grande concentration des marchés. Malgré l’arrivée et la chute rapides de nouveaux transporteurs débutants, de plus en plus de trafic aérien est concentré dans les appareils exploités par de moins en moins de transporteurs qui se font toujours de plus en plus grands. Aujourd’hui, on prévoit que le marché mondial de l’aviation sera bientôt dominé par trois ou quatre méga-transporteurs, nés d’alliances internationales contemporaines.
Il est intéressant de constater que, malgré cette concentration accrue de pouvoirs sur le marché, même les plus importants transporteurs aériens dans le monde demeurent faibles et vulnérables sur le plan financier. En dépit des fusions, des faillites et des réductions successives de la main-d’œuvre des transporteurs, même les transporteurs les plus solides ont de la difficulté à se rentabiliser lorsque l’économie se porte bien et perdent des milliards de dollars lorsque l’économie et le marché du transport aérien fléchissent.
En aéronautique, de toute évidence au cours des trois dernières décennies, le choix qui s’offre n’est pas entre des marchés réglementés non concurrentiels et des marchés concurrentiels non réglementés. On doit plutôt choisir entre des monopoles non réglementés et des monopoles réglementés. Pour les consommateurs, les collectivités et les travailleurs concernés, une solide réglementation publique représente plus que jamais la solution du gros bon sens.
À la lumière de l’histoire de la déréglementation à ce jour, il est intéressant de voir l’IATA, l’association du transport aérien international, réagir à l’actuel ralentissement économique et aux pertes totalisant des milliards de dollars à l’échelle mondiale en réclamant plus de déréglementation et une plus forte consolidation des marchés. L’IATA propose l’élimination des restrictions imposées sur la propriété des transporteurs nationaux et des dernières restrictions qui restent en matière de vols internationaux et de cabotage. L’association réclame aussi d’autres réductions draconiennes du nombre de transporteurs aériens en exploitation à l’échelle planétaire.
Il est difficile de comprendre comment plus de déréglementation et des marchés plus concentrés produiront des résultats différents. Il est tout aussi difficile de comprendre comment la création de monopoles plus forts et aucunement réglementés aidera les consommateurs, particulièrement ceux à l’extérieur des routes « principales » les plus empruntées pouvant maintenir une certaine concurrence.
Toute évaluation raisonnable des preuves de la déréglementation arriverait à la conclusion que nous devons non seulement maintenir en place les contrôles publics sur l’industrie, mais aussi remettre en place un régime plus complet qui protégera les voyageurs, les collectivités et les travailleurs.
L’argument n’a rien de nouveau. L’AIM dénonce la déréglementation et s’y oppose depuis plus de 30 ans. Malheureusement, la réalité exerce peu d’influence sur la vision des idéologues du libre marché. Les entreprises cherchent à étendre leur pouvoir et leur contrôle sur les marchés, et elles ont l’écoute des gouvernements depuis plusieurs décennies.
Notre seul espoir est que la crise économique finisse par sensibiliser les décideurs à la folie d’une déréglementation totale du transport aérien. Voilà le message que nous devons transmettre à nos gouvernements et aux législateurs, tous partis confondus.