Vu toutes les rumeurs qui courent concernant la perspective du renversement du gouvernement conservateur et du déclenchement subséquent d’une campagne électorale fédérale, certains pontifes affirment que ce serait une perte de temps, de tenir une élection en l’absence d’enjeux. Bien que cela puisse refléter les similitudes entre les politiques libérales et conservatrices, il existe néanmoins de réels enjeux à aborder, que ce soit ou non dans le cadre d’une élection.
Nous traversons la pire crise économique depuis la dépression des années 1930. Malgré les profits des banques qui montent en flèche et les rumeurs d’une reprise, nous n’avons cependant pas encore atteint le fond du baril. Tout indique que les taux de chômage officiels demeureront au-dessus des 10 % pendant encore plusieurs mois, et le chômage déguisé – prenant la forme d’heures de travail réduites, de chercheurs d’emploi actifs qui abandonnent leur recherche et de « travail autonome » forcé – augmentera aussi probablement.
Nos gouvernements doivent absolument continuer de soutenir l’expansion économique pendant encore une autre année au minimum, voire plus longtemps. Si nous voulons éviter un effondrement beaucoup plus long et grave, nous ne pouvons nous payer des compressions des dépenses au nom de la réduction du déficit, car de telles compressions mineraient l’actuelle reprise fragile. Le cours du dollar canadien doit baisser pour rendre notre production intérieure et nos exportations plus concurrentielles.
Au-delà de ces impératifs à court terme, nous devrons composer avec les problèmes de longue durée qui ont mené à l’actuelle crise, c’est-à-dire la trinité maléfique de la déréglementation, du libre-échange et des iniquités croissantes ayant dominé notre culture économique depuis plus de trois décennies. Depuis le milieu des années 1970, en Amérique du Nord et presque partout ailleurs dans le monde, des politiques antisyndicales et des accords commerciaux ont habilité les entreprises tandis que la déréglementation s’est traduite par des profits mirobolants et des pouvoirs sans réserve au secteur financier gonflé à bloc.
Les résultats se sont avérés nocifs, voire toxiques, pour les familles de travailleurs. À mesure que le taux de syndicalisation diminue, les riches s’enrichissent, alors que les familles à faible revenu et à revenu moyen sont laissées derrière. Notre secteur manufacturier disparaît rapidement et nous enregistrons maintenant d’énormes déficits commerciaux avec des pays à bas salaires comme la Chine. La majorité des familles nord-américaines a très peu bénéficié des bulles financières de Wall Street et de Bay Street, mais ces mêmes familles font maintenant les frais de l’éclatement de ces bulles.
Nous devons nous doter de stratégies actives pour redonner vie à notre secteur manufacturier, de politiques en matière de commerce et d’achats gouvernementaux qui encouragent la production et l’emploi au Canada. Nous devons renforcer notre régime de réglementation afin de limiter les dommages que peut nous faire subir la cupidité des entreprises. Nos politiques doivent viser à développer l’égalité, en commençant par des mesures législatives qui facilitent l’exercice par les travailleurs de leur droit d’association au syndicat de leur choix. Nous devons renégocier ou faire abroger des accords commerciaux afin que les entreprises n’aient plus la main mise sur notre économie.
Une économie en croissance et une économie plus équitable, qui crée de bons emplois et offre aux familles la possibilité d’améliorer leur qualité de vie… Tout cela est au centre de la direction que nous devons emprunter. Il faut éliminer les réductions d’impôts qui profitent principalement aux entreprises et aux riches, au détriment de services publics comme la santé et l’éducation qui se meurent.
Si nous voulons vivre dans une société davantage caractérisée par l’équité et l’égalité, nous devrons rétablir le régime d’assurance-chômage qui était en place il y a vingt ans, selon lequel une majorité de chômeurs étaient admissibles à des prestations.
Pour éradiquer la pauvreté des personnes âgées, nous devrons bonifier le programme fédéral du Supplément de revenu garanti. Pour protéger les pensions contre les caprices des marchés boursiers et de l’incompétence des entreprises, nous devrons créer un régime national d’assurance-retraite pour suppléer les pensions lorsque la faillite d’entreprises se traduit par un déficit de solvabilité des régimes de retraite.
Enfin, nous devrons nous attaquer au fait qu’une majorité des employeurs n’offrent aucun régime de pensions à leurs travailleurs, ce qui fait en sorte que la plupart des personnes âgées au Canada dépendent uniquement de prestations publiques : Sécurité de la vieillesse, Régime de pensions du Canada, Régime des rentes du Québec et Supplément de revenu garanti. Augmenter le plafond admissible des REER ne réglera pas le problème et ne fera que transférer des montants astronomiques vers l’industrie des REER et des fonds communs de placement déjà gonflée à bloc.
Pour assurer que les générations futures bénéficient d’une retraite décente, nous devrons progressivement rehausser, voire doubler ultimement, les prestations du RPC et du RRQ. C’est une solution universelle, efficace et abordable.
Donc, malgré ce qu’en disent les pontifes, il reste des enjeux pertinents que nous soyons ou non plongés dans une élection.
Le Congrès du travail du Canada tentera de placer ces enjeux en tête de la liste des engagements des partis politiques. Nous devrons tous veiller à ce que nos politiciens entendent le message.