Par Louis Erlichman
Directeur de la Recherche pour le Canada
Après avoir remporté une majorité des sièges au terme de la récente campagne électorale en Ontario, le gouvernement libéral a déposé à nouveau le budget que les partis d’opposition avaient rejeté et qui avait précipité la tenue des élections.
Une pièce maîtresse du budget est le Régime de retraite de la province de l’Ontario (RRPO), un régime public à l’intention des Ontariens qui complémentera, à compter de 2017, les régimes publics nationaux déjà en place.
Au cours des dernières années, le gouvernement libéral de l’Ontario, à l’instar de presque tous les autres gouvernements provinciaux, a donné son appui à une bonification des prestations du Régime de pensions du Canada (RPC), comme proposé et défendu par le Congrès du travail du Canada (CTC).
Lorsque le gouvernement fédéral conservateur a fait obstruction à la bonification des prestations du RPC, les libéraux de l’Ontario ont affirmé leur volonté d’aller de l’avant avec un régime pour l’Ontario dans l’espoir que leur régime mène à un RPC bonifié une fois qu’un gouvernement fédéral moins idéologique aura été élu.
Plusieurs défenseurs d’un RPC bonifié ont applaudi l’introduction du RRPO, perçu comme une mesure positive.
La question est à savoir si le RRPO proposé contribuera ou nuira à la bonification du RPC, un régime essentiel à la sécurité du revenu des retraités canadiens. Comme c’est souvent le cas, le diable est dans les détails.
En fait, la description faite du RRPO dans le budget est très générale et laisse plusieurs questions sans réponse.
Alors que le CTC a carrément réclamé que le montant actuellement versé en prestations par le RPC soit doublé, le RRPO introduit une structure plus complexe, axée sur les contribuables « à revenu moyen ». Le seuil maximal des gains annuels admissibles serait augmenté de 52 500 $ à 90 000 $ et le seuil minimal des gains annuels admissibles – actuellement de 3 500 $ – serait possiblement augmenté aussi.
Bien que la structure des prestations du RRPO soit quelque peu plus complexe, elle ressemble à un certain nombre de propositions envisagées pour bonifier le RPC et pourrait assez facilement être intégrée dans le RPC.
Un aspect plus troublant du RRPO est qu’il n’assure aucune couverture universelle – une caractéristique clé du RPC. En vertu du RRPO, les employeurs pourraient se retirer s’ils offraient un « régime de retraite comparable ».
On ne sait pas clairement ce qui serait considéré comme constituant un régime « comparable »… Un REER collectif ou encore les nouveaux Régimes de pension agréés collectifs (RPAC), qui ne sont qu’un autre type de REER? L’employeur sera-t-il tenu de verser une cotisation minimale (comme dans le cas du RPC)?
Ce qui est clair, c’est qu’aucune solution de rechange n’assurerait aux travailleurs les prestations universelles, transférables et indexées que leur garantit le RPC.
Dans les faits, le RRPO représente un pas en arrière pour les libéraux de l’Ontario, car ils appuyaient la bonification du RPC universel.
De plus, la disposition de retrait compliquera davantage la capitalisation du RRPO. Il est fort probable qu’on ait recours à une « sélection adverse » en retirant les travailleurs plus jeunes du régime, ce qui en menacerait la viabilité financière.
Il y a même le risque qu’un RRPO non universel soit utilisé pour attaquer l’universalité du RPC.
Il n’est pas rassurant de savoir que le « groupe consultatif technique » du gouvernement, responsable de travailler sur les détails du RRPO, est présidé par Paul Martin, dont le ministère, lorsqu’il était ministre fédéral des Finances dans les années 1990, a joué un rôle central dans une campagne visant à discréditer le RPC en vue d’une éventuelle privatisation du régime.
Il n’est donc pas du tout clair que le RRPO représenterait une étape positive vers la bonification des pensions publiques et l’amélioration de la sécurité du revenu à la retraite au Canada. Aussi, puisque le budget libéral prévoit également l’introduction de RPAC en Ontario et suit l’exemple des conservateurs fédéraux d’introduire des régimes à prestations ciblées permettant aux employeurs de réduire les prestations de retraite gagnées, il est difficile d’applaudir le budget du gouvernement ontarien libéral en l’absence d’une évaluation claire des dommages potentiels.