PRÉSENTATION DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS DE L’AÉROSPATIALE AU COMITÉ PERMANENT DU COMMERCE INTERNATIONAL
Nous apprécions l’occasion de présenter au comité le point de vue de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale.
Introduction
L’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA) est le principal syndicat du secteur aérospatial et de l’industrie du transport aérien. L’AIMTA représente plus de 55 000 membres au Canada, dont 22 000 travaillent dans les secteurs de l’aviation, de l’aérospatiale et du transport aérien.
Nous représentons des membres de Bombardier, d’Airbus, de Boeing, de MTU, de Magellan, d’Arnprior Aerospace et de Saffran Landing Systems, d’Avcorp, de Rolls-Royce, de Siemens, de L3 et de Field Aviation. Nous comptons de nombreux membres au Canada qui travaillent dans la production de pièces d’aéronefs, la révision et la réparation d’aéronefs. Nos membres de l’aviation travaillent pour Air Canada, Sunwing, Air Transat, Swissport, British Airways, Garda World, G4S, Menzies Aviation, AAS, ATS, Sky Café et d’autres. Nous représentons également des membres des services de contrôle dans les aéroports du Canada, de la production de pièces automobiles, du secteur de l’accueil, des soins de santé, des additifs de peinture sur mesure, de la production de pompes industrielles, de la production de plastiques et de la menuiserie.
Le projet de loi C-18 vise à élargir les modalités de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) pour en faire un accord bilatéral entre le Canada et le Royaume-Uni, préservant ainsi l’élimination des droits de douane sur 98 % des produits exportés vers le Royaume-Uni. De plus, en vertu de l’accord transitoire, le Canada conserverait un accès préférentiel au marché du Royaume-Uni pour les exportateurs canadiens. Le maintien de l’accord commercial entraînerait également l’élimination d’un autre 1 % des droits de douane sur les exportations canadiennes vers le Royaume-Uni d’ici le 1er janvier 2024, ce qui porterait l’élimination totale à 99 % des droits de douane sur les exportations canadiennes.
En l’absence d’un accord transitoire, on prévoit que le Canada pourrait connaître une baisse du commerce bilatéral d’une valeur de 1,6 milliard de dollars américains. De même, le PIB du Canada diminuerait jusqu’à 349 millions de dollars américains, et il pourrait y avoir jusqu’à 2 430 pertes d’emplois.[efn_note] https://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/cuktca-acccru/economic_impact_assessment-evaluation_impact_economique.aspx?lang=eng Feb.15, 2020.[/efn_note] Étant donné les pertes potentielles pour l’économie canadienne dans son ensemble, l’AIMTA appuie les efforts visant à diversifier et à élargir les débouchés commerciaux, et nous aimerions souligner les occasions qui s’offrent à nous, mais aussi les domaines qui doivent être abordés avant que le gouvernement n’aille de l’avant avec le projet de loi C-18. Les inconvénients de l’AECG ont été soulignés lors de consultations antérieures, et nous espérons que le gouvernement fédéral se penchera sérieusement sur les questions que nous soulevons.
Aperçu
En 2019, le Royaume-Uni était la troisième destination en importance du Canada pour les exportations de marchandises en tant que pays unique[efn_note] Ibid[/efn_note]. Dans l’ensemble, le Royaume-Uni est le cinquième partenaire commercial du Canada, avec des échanges de biens et de services totalisant 18 milliards de dollars.[efn_note] Ibid[/efn_note]
Les principales marchandises importées du Royaume-Uni en provenance du Canada étaient principalement des pierres précieuses et des métaux (8,9 milliards de livres sterling en 2019), ce qui représente plus des deux tiers de la valeur totale des marchandises importées du Canada.[efn_note] Ibid p.6[/efn_note] 75 % du commerce total se compose de perles naturelles ou de culture, de pierres précieuses ou semi-précieuses et de métaux précieux.[efn_note] https://aiac.ca/wp-content/uploads/2020/05/Trade-Commissioner-Service-Report-COVID19-UK-Aerospace-Impact.pdf Feb.15, 2021[/efn_note]
Selon une étude réalisée par le délégué commercial (Aérospatiale et Défense), il existe un créneau pour l’aérospatiale canadienne sur le marché britannique. Même si nous ne représentons qu’une petite partie du portefeuille commercial du Royaume-Uni, soit environ 1,6%, nous croyons que l’industrie aérospatiale canadienne devrait profiter des possibilités offertes par l’accord de transition.
À l’instar des secteurs de l’aviation partout dans le monde, la pandémie a eu un effet négatif sur les industries aéronautique et aérospatiale du Royaume-Uni. L’aéroport d’Heathrow, le plus grand et le plus achalandé du pays, a connu une baisse de 97 % du nombre de passagers. L’annulation et le déplacement des commandes d’avions par les compagnies aériennes affectent les plus grands fabricants d’avions de l’industrie, Boeing Co. et Airbus SE, à son tour créer une surcapacité aux entreprises dans les chaînes d’approvisionnement de l’aviation. Selon le groupe ADS, le report et l’annulation des livraisons d’avions devraient coûter 5 milliards de livres sterling de perte de valeur en 2020.
De même, la maintenance, la réparation et la révision (MRO) ont chuté de 50 à 70 % en 2020, et Airbus réduit sa production d’environ un tiers après avoir enregistré seulement 21 commandes nettes d’aéronefs en mars et en avril 2020. Boeing n’a reçu aucune commande en avril, en plus des demandes des clients de reporter et d’annuler les commandes. Airbus a mis 1 500 employés à pied à son usine de production d’escadre à Filton, en Angleterre, et 3 200 à Broughton, au Pays de Galles.[efn_note] Ibid[/efn_note]
Le délégué commercial a cerné des possibilités pour les entreprises aérospatiales canadiennes, qui seraient appuyées par le maintien des modalités de l’AECG. Les perturbations survenues sur les marchés mondiaux en raison de la pandémie entraînent inévitablement des fusions et acquisitions, l’industrie de l’aérospatiale et de la défense ayant été désignée comme la plus vulnérable. Le délégué commercial conseille aux entreprises canadiennes ayant des flux de trésorerie d’envisager des cibles d’acquisition et d’investir au Royaume-Uni.
D’autres possibilités d’intérêt sont les solutions logicielles qui soutiennent la numérisation de la gestion de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que les technologies qui soutiennent la transformation de l’industrie en raison de la crise du coronavirus, comme les solutions cybernétiques, les systèmes de surveillance et les capacités de type CBRN qui soutiennent la désinfection.[efn_note] Ibid[/efn_note]
Améliorer la compétitivité du Canada en aérospatiale – Une politique nationale de l’aérospatiale
Pour que les compagnies aérospatiales canadiennes puissent soutenir la concurrence sur le marché mondial et conquérir le marché aérospatial du Royaume-Uni en ce moment opportun, le gouvernement canadien doit faire davantage. L’AIMTA a exhorté le gouvernement fédéral à combler les lacunes de l’industrie nationale afin de renforcer l’industrie aérospatiale canadienne et d’assurer sa capacité de demeurer concurrentielle à l’échelle mondiale. La contribution de l’industrie aérospatiale canadienne ne doit pas être ignorée; l’industrie aérospatiale s’est avérée irréfutablement être le moteur de l’innovation et de la technologie dans tous les secteurs, employant plus de Canadiens que l’industrie de l’automobile. En fait, le gouvernement du Canada compte davantage sur cette industrie pour ses revenus que ses concurrents.
L’aérospatiale contribue largement à l’économie canadienne, soit quelque 28 milliards de dollars par année, et elle est une source d’emplois syndiqués stables et bien rémunérés qui soutiennent les Canadiens de la classe moyenne. Cette industrie emploie plus de travailleurs que l’industrie de l’automobile par une grande marge, 208,000 contre 123,395 travailleurs, (ou 60% plus de travailleurs que l’automobile), pourtant à ce jour, l’industrie a vu peu de soutien direct dans l’ensemble.
Nos recommandations comprenaient, d’abord et avant tout, l’élaboration d’une politique nationale de l’aérospatiale. La plus grande grappe aérospatiale du Canada est centralisée au Québec, mais pratiquement toutes les provinces ont une grappe aérospatiale. L’industrie est souvent coincée entre le gouvernement provincial et fédéral, ce qui a rendu difficile un cadre de financement cohérent et la promotion de grappes régionales. L’approche adoptée par le gouvernement consiste à financer des entreprises aérospatiales individuelles et à transférer de l’argent de façon aléatoire aux provinces qui ont des grappes aérospatiales. Ce n’est ni une utilisation efficiente de l’argent, ni un moyen efficace de s’assurer que le Canada demeure concurrentiel à l’échelle mondiale, même s’il est inégalé dans la production de simulateurs de vol, d’aéronefs civils, de moteurs et MRO.
Notre industrie aérospatiale a toujours été concurrentielle à l’échelle mondiale, mais le manque de soutien et d’établissement des priorités du gouvernement, combiné aux répercussions de la pandémie, a créé des défis supplémentaires pour une industrie très fragile. Nous demandons au gouvernement de soutenir cette industrie sous la forme d’une politique nationale et d’aider les entreprises aérospatiales à être plus concurrentielles pour conquérir le marché aérospatial du Royaume-Uni.
Préoccupations relatives aux dispositions de l’AECG – Manque de protection des droits des travailleurs
La position du mouvement syndical sur l’AECG a été clairement énoncée dans une déclaration conjointe du Congrès du travail du Canada et dans une mise en garde de la Confédération allemande des syndicats au sujet de l’affaiblissement des droits des travailleurs en 2016. Plus précisément, le chapitre 23 de l’AECG ne prévoyait aucune disposition exécutoire sur le travail pour la mise en œuvre des normes de l’organisation internationale du travail (OIT). L’AIMTA est également troublée par le fait que le chapitre sur le travail est exempté du règlement général des différends. Alors que les investisseurs peuvent compter sur un système juridictionnel d’investissement contraignant, les conflits de travail sont résolus par un processus de coopération non contraignant et des recommandations, que les entreprises peuvent ignorer sans pénalité.
Essentiellement, l’AECG ne contenait qu’un processus qui a déclenché des consultations, mais aucune amende ni sanction n’a été imposée aux parties qui enfreignaient les lois du travail.[efn_note] Powershift and CCPA, et al. (2016). Making Sense of CETA 2ND Edition. Berlin, Germany, and Ottawa Canada. Pg. 70[/efn_note]
L’AECG favorise également l’érosion des droits des travailleurs en permettant aux parties de transférer des investissements dans des domaines où les normes du travail sont les plus faibles et en contestant de nouveaux règlements qui auraient des répercussions négatives sur les investissements. L’accord initial n’imposait pas aux parties l’obligation de mettre en œuvre les conventions de l’OIT, qui, dans un marché mondial, empêchent le démantèlement des lois du travail et une course vers le bas.
Plus précisément, l’accord est silencieux sur la Convention de l’OIT sur la sécurité et la santé au travail et le milieu de travail (no 155), ainsi que le no 81 et no 129 sur les inspections du travail, no 122 sur les politiques de l’emploi, et nos 97 et 143 sur la mobilité de la main-d’œuvre et la protection des travailleurs migrants.
En vertu des dispositions sur l’entrée temporaire des gens d’affaires, l’AECG permet également à certaines catégories de travailleurs de se déplacer d’un pays à l’autre et de contourner le processus d’immigration canadien. L’AECG limite la capacité du gouvernement d’imposer des limites aux travailleurs migrants dans les régions où le taux de chômage est élevé, même si des travailleurs locaux sont disponibles. Cette disposition nuit clairement aux efforts déployés par le gouvernement pour former et embaucher des travailleurs locaux. Enfin et surtout, les dispositions relatives à l’entrée temporaire n’ouvrent pas la voie à la résidence permanente ou à l’immigration, comme c’est le cas dans d’autres accords commerciaux de l’Union européenne. De plus, on s’attend à ce que cette disposition ait une plus grande incidence sur le Canada que sur le Royaume-Uni.
Marchés publics
Pour la première fois, en vertu de tout accord commercial conclu avec le Canada, l’AECG a permis l’application des règles d’approvisionnement aux gouvernements municipaux et provinciaux du Canada, en plus du gouvernement fédéral. Il est interdit aux organismes locaux de favoriser les fournisseurs locaux et même d’appliquer des exigences de contenu local aux marchés publics, car cela enfreindrait les dispositions de non-discrimination. Ce qui est plus inquiétant, c’est que les dispositions de l’AECG donnent un accès inconditionnel aux marchés publics canadiens aux entreprises européennes. En outre, les entités adjudicatrices ne sont pas en mesure d’obliger les fournisseurs étrangers à contribuer positivement au développement économique local.[efn_note] Ibid p. 73[/efn_note]
En fait, l’AECG permet aux gouvernements étrangers d’exercer des pressions diplomatiques et bureaucratiques sur les signataires pour qu’ils collaborent à la réglementation. L’objectif était d’harmoniser les normes et de définir un processus qui oblige les signataires à partager l’information sur l’élaboration des politiques et des règlements le plus tôt possible, ce qui permet à un gouvernement étranger de formuler des commentaires sur les projets de règlements. C’est extrêmement problématique, et nous avons maintenant l’occasion de nous pencher sur cette question.
En vertu du nouvel accord de transition, nous recommandons que le projet de loi C-18 énonce les exigences en matière de contenu canadien dans les marchés publics. Une mesure qui permet au gouvernement canadien de soutenir et de garantir les retombées économiques doit faire partie intégrante de la nouvelle entente. L’AIMTA recommande également qu’une forme de cadre d’assurance soit incluse, dans le but de protéger les secteurs économiques en difficulté, comme l’aérospatiale dans le climat actuel, sans encourir de sanctions en cas de violation de l’accord.
Commerce
L’AECG a également imposé au gouvernement canadien la condition de traiter les fournisseurs étrangers au moins aussi bien que les fournisseurs nationaux, ce qui, dans certains cas, désavantagerait les entreprises canadiennes. En vertu de l’accord initial, la capacité de notre gouvernement de réglementer l’entrée et l’activité des entreprises étrangères était limitée, même dans les cas où de tels règlements ne faisaient pas de discrimination entre les fournisseurs de services étrangers et canadiens.
Démantèlement des services publics, des quotas et des règlements
La portée de l’AECG est beaucoup plus vaste que tout autre accord de libre-échange conclu par le Canada, en ce sens qu’il limite la capacité du gouvernement de protéger les industries et les marchés intérieurs. Techniquement, l’AECG considère que tout ce qui relève de l’autorité gouvernementale est interdit à la libéralisation du marché, mais même dans la prestation de services publics, il peut y avoir un niveau nominal de concurrence, ce qui permet la libéralisation et l’harmonisation entre les signataires. Les chapitres sur l’investissement, le commerce transfrontalier des services, les marchés publics, les règles d’accès aux marchés, la non-discrimination, la protection des investissements et le traitement de la nation la plus favorisée ouvrent tous la possibilité de privatiser les services publics.
Diverses restrictions pourraient affecter les quotas, tels que les quotas de prescription que certains pays de l’UE maintiennent pour réduire les coûts des soins de santé; en vertu de l’accord, cela serait contesté en tant que violation des dispositions d’accès au marché.[efn_note] Ibid p. 30[/efn_note] Les auteurs de l’AECG ont supposé que tous les secteurs et toutes les mesures touchant le commerce et l’investissement sont automatiquement couverts par l’AECG, à moins d’en être explicitement exclus. L’AECG, tel qu’il a été mis en œuvre à l’origine, porte atteinte à la liberté et à la responsabilité du gouvernement de fournir et de réglementer des services publics dans l’intérêt public.
Le Canada est l’un des pays développés les plus fréquemment poursuivis en vertu de l’ALÉNA, avec 39 poursuites contre le gouvernement canadien et 190 millions de dollars en dommages-intérêts. Il y a beaucoup d’autres poursuites contre le Canada et des investisseurs qui réclament des milliards de dollars. La majorité des réclamations sont dirigées par des investisseurs européens; en fait, ils ont lancé plus de la moitié de toutes les réclamations. Les questions les plus contestées portaient sur des questions liées à la santé publique et à l’environnement, qui relèvent toutes deux de l’AECG.
La pandémie a souligné l’importance des services communautaires en période de crise, car pour beaucoup, ce réseau les a maintenus. De plus, l’absence d’une industrie manufacturière nationale pour la production d’EPI, de désinfectants et maintenant de vaccins illustre l’importance des industries nationales saines pour un pays. Il appuie la santé économique et la cohésion sociale, ainsi que tout accord commercial qui porte atteinte à des aspects qui doivent être examinés et réévalués.
Conclusion
Comme nous l’avons dit au départ, nous appuyons les efforts visant à explorer et à rechercher des possibilités commerciaux qui sont dans l’intérêt de notre économie et de la population. Le Canada a certainement l’occasion de tirer profit du marché britannique, et nous encourageons le gouvernement canadien à poursuivre dans cette voie en consultant régulièrement les intervenants pertinents, qui devraient également inclure les syndicats.
Pour commencer, nous demandons au gouvernement fédéral d’examiner les aspects problématiques de l’AECG, dont certains sont décrits dans notre présentation, qui n’est en aucun cas une liste exhaustive. Étant donné les répercussions de la pandémie sur plusieurs secteurs clés comme l’aviation et des sous-secteurs comme l’aérospatiale, il vaut la peine d’explorer l’élaboration d’une politique industrielle, qui comprend une politique nationale stratégique pour l’aérospatiale. L’établissement de relations commerciales est nécessaire pour stabiliser et diversifier notre économie, mais nous ne devons pas le faire au détriment de nos industries nationales.
Respectueusement soumis,
David Chartrand, coordonnateur de l’AIMTA au Québec